Salut à tous et bienvenue aux nouveaux lecteurs !
J'ai été opérée du bras gauche en Janvier et j'ai mis si longtemps à cicatriser qu'il a fallu encore freiner d'avantage mon rythme artistique. Mais j'ai néanmoins continué à faire travailler mes petits doigts ankylosés en dessinant certains jours meilleurs et aussi en tapotant cet article en parallèle, afin de vous introduire à une catégorie d'art que j'affectionne tout particulièrement : l'art chez les personnes handicapées (et leur capacité bien réelle de créer).
Recueil d'oeuvres d'artistes autistes qui ont été exposé à Paris et Versailles.
J'adore me balader dans les (rares) galeries qui exposent les oeuvres d'artistes autistes ou handicapés mentaux. J'ai l'impression que chez ces créatifs.teurs, l'art est spontané, fondamentalement sincère et brut : il ne requière pas une conceptualisation intellectuelle antérieure. Il n'a pas été pensé pour plaire ou suivre un code esthétique en vogue. Il devient un outil pure d'expression et d'échange. Et c'est souvent très intéressant.
Créer pour communiquer
Petite histoire perso : à l'âge de 4 ans, mon frère Damien a connu un terrible accident, faisant basculer sa vie. Suite à un sévère traumatisme crânien, il est resté depuis ce jour cet enfant fantastique, aujourd'hui coincé dans le corps d'un homme de 34 ans. En plus de plusieurs altérations mentales qui le privent d'être un "garçon comme les autres", son handicap l'empêche également de s'exprimer correctement (incohérences, bafouillages, bégaiements,...). Il a ses propres mots et on arrive quand même à le comprendre la plupart du temps. Mais parfois, c'est plus difficile : Lorsqu'il voit des choses diverses du quotidien qui le marquent, il s'émeut très vite. On sent qu'il est frustré qu'on n'arrive pas à saisir le sens de ses paroles alors très agitées et embrouillées.
On lui demande alors de dessiner ce qu'il a vu. Le résultat est surprenant et étrange. Ses oeuvres sont bien plus complexes que de simples gribouillis :
Le dessin a une place très importante dans sa vie. À tel point que je me suis souvent demandé s'il était un garçon handicapé qui s'exerce à l'art, ou s'il était un artiste dans le corps d'un handicapé ?
J'insiste sur le fait que Damien n'a que 4 ans d'age mental : gestuelles, mimiques et vocabulaire innocents et limités. Pourtant, ses dessins ne peuvent en aucune manière être comparés à ceux d'un enfant de 4 ans.
Par exemple, il ne sait pas lire, ni vraiment écrire : hormis de rares mots comme son prénom, il caligraphie l'alphabet qu'il voit autour de lui. Mais j'ai parfois l'impression que ces chiffres et ces lettres n'ont pas été mis au hasard. Pas parce qu'il souhaite écrire quelque chose en particulier (on a beau tenter lui apprendre, mais son cerveau est "bloqué", il n'assimile pas la notion de l'alphabet), mais peut-être qu'il se sent lui même oppressé par toutes ces successions de lettres qu'il ne comprend pas..?
Sa représentation du Christ crucifié ci-dessous est tout aussi étonnante : il a reproduit le visage de Jésus de manière très différente de ce qu'il a l'habitude de faire. Il a délibérément rendu son visage flou et crispé, avec des coups de stylos bic pour marquer la peine et la soufrance. En fait, il a très bien compris la définition du martyr. (Pour un garçon de 4 ans, c'est plutôt pas mal, vous ne trouvez pas ?!)
Créer, juste pour le plaisir
Benjamin est un jeune homme trisomique de 21 ans. Ce jeune espiègle est un grand extraverti et ses passe-temps favoris sont multiples : la pratique de la musique, le théâtre, l'art plastique,... Et dessiner est encore un moyen supplémentaire d'épancher tous ces élans créatifs débordants.
Les dessins de Ben sont souvent des portraits des protagonistes de son quotidien, des paysages, et surtout des arbres.
Autoportrait de Ben, exposé à la Palette-en-tête, galerie d'art à Paris.
Edit : J'suis déçue, je n'ai pas pu paufiner la partie de Ben. D'autres de ses dessins sont à venir pour compléter l'article... Mais avec le confinement Covid et ma prochaine hospitalisation, je ne sais pas trop à quel moment je pourrais aller les récupérer. 😟
Créer pour se rapprocher de la normalité
Julie, également atteinte de trisomie 21, suit des cours de théâtre une fois par semaine et participe à des activités artistiques diverses avec ses amis grâce à l'association Soleil toujours dont elle fait partie. Ce qu'elle aime le plus : peindre et sculpter.
La plupart du temps, elle laisse son imagination s'exprimer, même quand des thèmes sont proposés lors des activités avec son association. Elle dit s'inspirer de sa famille et de l'amour. 😊
Les loisirs créatifs font partie de son quotidien depuis l'enfance puisque sa soeur, Diane Snotra, est artiste-artisane de profession. Diane me racontera d'ailleurs :
« Quand nous étions petites ma sœur et moi, nous passions beaucoup de temps à peindre, dessiner, colorier... Je dirais donc que nous avons en quelques sortes appris et testé ensembles. Ensuite comme j'ai entrepris des études dans l'illustration, elle me posait beaucoup de questions à propos des projets que je devais rendre. Comment je faisais pour peindre ? Quel matériel j'utilisais ? Comment je dessinais ceci ou cela ? Je lui ai donc montré ce que je faisais quand nous étions à la maison et cela lui donnait envie de faire la même chose à elle aussi, comme quand nous étions petites.
Elle est heureuse quand elle crée. Elle dit aussi qu'elle est "comme moi" (par rapport à mes activités professionnelles). Je crois que ça lui permet de se sentir "normale" (si je peux utiliser ce mot qui au final n'a pas vraiment de sens car la normalité n'existe que pour la société) et fière car elle s'adonne à des activités comme les personnes "normales", comme les miennes que je réalise au quotidien. »
Quand je lui demande son avis personnel sur l'art des personnes handicapées, elle me répondra :
« L'art des personnes handicapées est vraiment unique. Je le trouve brut mais empreint de sensibilité et de véracité. Ces personnes s'expriment vraiment avec leur cœur, elles ne trichent pas et ça se ressent dans leurs créations. J'aime vraiment aller voir leurs créations en accompagnant Julie lors de ses activités car je suis toujours ravie de ce que je vois. Je peux même dire que ce que ces gens réalisent m'inspire par leur authenticité. J'adore évidemment l'art de ma sœur car il est emplie d'amour et très coloré. Je trouve qu'elle associe très bien les couleurs et qu'elle arrive à donner une âme à ce qu'elle fait. »
Merci à Diane Snotra pour cet échange. (Et vous pouvez découvrir ses jolies créations de poupées en feutrine par ici !)
D'autres liens sympathiques :
Mini reportages en vidéo : Handicapés mentaux, mais artistes avant tout et L'art sans fard
Les artistes trisomiques Maryam et Manon Vichy à découvrir.
Downside Up, un court métrage sur un monde où la trisomie 21 est la norme.
J'espère que cet article un peu "à part" vous aura plu. Merci de m'avoir lue!
Amitiés,
Paontaure