Petit détour par les Enfers, aujourd'hui !
Étant de souche goth, je vais alimenter le cliché : dans toutes les mythologies du monde, j'ai toujours été particulièrement obsédée par les mondes des morts et les personnages énigmatiques qui les peuplent.
Entre Anubis le dieu funéraire dans l’Égypte antique, Hela la reine de Helheim dans la mythologie nordique que j'ai déjà représenté à plusieurs reprises, Izanami dans la culture japonaise (dont il me tarde de dessiner la fameuse scène où elle poursuit furieusement son couard de conjoint parce qu'il a pris la fuite suite à sa défiguration. Hoho !) et of course Hadès et tout son royaume infernal sur lequel on va s'attarder dans cet article.
J'ai occupé des nuits d'insomnie à griffonner des pages de brouillons assez floues sur les mondes souterrains et à rêvasser de ses habitants. Il y a dans ces moments là, une ambiance paisible et légèrement inquiétante propre à la nuit qui vous propulse dans une immersion totale. 🖤
Hadès et Cerbère - Et j'étais obligé d'insérer un clin d'œil à LOTR vu sa pose. Forcément. 👌
Gardien et maître des Enfers, Hadès est intransigeant sur les règles et l'équilibre des mondes. Sa principale mission est d'empêcher les morts de quitter les Enfers.
Il peut néanmoins faire quelques rares exceptions : souvenez-vous de la tragique histoire d'Orphée et d'Eurydice. Touché par le chant d'Orphée, Hadès avait accordé à celui-ci le droit de retourner sur terre avec sa bien-aimée à la condition que le mortel ne se retourne jamais sur le chemin du retour. Mais la tentation de s'assurer qu'Eurydice est bien derrière lui, et que le roi des Enfers ne s'est pas payé sa tête est trop forte...
Hercule aussi fut l'un des rare mortel à sortir des Enfers, mais toujours avec l'approbation d'Hadès.
Les Champs Elysée - (graphite, encre de Chine et aquarelle extra-fine) © Paontaure
Car s'il est facile de rentrer dans les mondes souterrains, il est impossible d'en sortir sans l'aval du gardien des lieux. Il faudra déjà réussir à traverser ne serait-ce qu'un seul des fleuves infernaux.
On en compte cinq au total : le Styx, la rivière de la haine, l'Achéron, le fleuve du chagrin, le Phégéthon, rivière des flammes, le Cocyte, torrent des lamentations, et Léthé, ruisseau de l'oubli.
Amenthé et Menthé, se baignant dans le fleuve - (graphite, encre de Chine et aquarelle extra-fine) © Paontaure
Amenthé et Menthé étaient les rejetons du fleuve Cocyte. Menthé était aussi connue pour être la concubine de Hadès jusqu'à ce qu'il rencontre Perséphone.
Représentation de Menthé : du brouillon au croquis de préparation
Délaissée par Hadès, Menthé vouera une haine et une jalousie réciproque et non dissimulée à la nouvelle souveraine des Enfers, la médisant publiquement :
"Cette Nymphe superbe osait prétendre qu'elle l'emportait par sa naissance, par sa beauté, sur Proserpine (Perséphone) aux beaux yeux noirs ; elle ne craignit point de publier que Pluton (Hadès) lui rendrait son cœur et renverrait sa rivale."
Perséphone lui demandera de se tenir à distance de son compagnon, en vain. Excédée par son impudence, elle finira par lui tendre un piège avec l'aide de sa mère, Déméter : elle la transformera en une petite plante, la menthe, qu'elle piétinera cruellement. (Eh ouais, faut pas chercher queen Perséphone !)
Hadès, un peu mou à la détente mais chagriné quand même, donnera à cette plante un parfum enivrant en souvenir de son ancienne et défunte maîtresse. Son frère Amenthé, inconsolable, demandera à connaître le même sort. Il sera transformé en menthe sauvage.
Petit step-by-step : j'utilise ici un mélange d'encre et de peinture acrylique.
J'ai rajouté la phrase "Charme la vie, cache la mort" en latin car en plus d'être appréciée comme aromate et parfum, la menthe était aussi utilisée pour cacher l'odeur de putréfaction durant l'embaumement. Ça lui donne un autre petit lien avec la mort.
"Leporem Vitae, Latebras Mortem" (acrylique sur panneau en bois) © Paontaure
En plus de Menthé, Hadès avait aussi une autre maîtresse avant l'arrivé de Perséphone : la nymphe Leucé, fille du titan Océanos. Née avec une anomalie, elle est de ce fait dotée d'une vie mortelle. Elle vieillira et mourra de manière naturelle.
Pour la garder près de lui, Hadès changera son corps après sa mort en peuplier blanc qui grandira sur les Champs Élysées. Depuis lors, la plante symbolisera le renouveau. Dans d'autres versions, c'est Perséphone qui la transformera.
Mort de Leucé - (graphite, encre de Chine et aquarelle extra-fine) © Paontaure
Il est dit que Leucé était jalouse de Perséphone (le choix est large : sa jeunesse, son immortalité, sa relation avec Hadès, son statut de souveraine...) Mais contrairement à sa relation avec Menthé, je ne pense pas que Perséphone vouait une rancune particulière à Leucé de son côté, ni la considérait comme une rivale. Les deux ne se haïssaient pas non plus.
D'ailleurs, il est dit que le peuplier blanc est un arbre sacré pour la déesse de la mort. Ce qui pousse à croire que Perséphone éprouvait un certain respect, voir même de l'attachement pour l'ancienne compagne de son époux.
J'aime cette idée, ça change des indénombrables histoires de nymphes _toujours décrites comme caractérielles_ qui s'étripent entre elles pour l'amour d'un dieu.
Planche intégrale II - (graphite, encre de Chine et aquarelle extra-fine) © Paontaure
Hadès et Perséphone régneront ensembles d'une main de fer. Je vous épargne leur célèbre histoire, déjà relatée des milliers de fois.
Parce que leur union semble harmonieuse (l'un comme l'autre ont l'air satisfaits de leur rôle d'épou.se et souverain.e), je me plaîs à imaginer que Perséphone a suivi Hadès de son propre chef plutôt que d'esquisser une enième représentation de son rapte/viol trop souvent sensualisé dans l'art.
Dans la mythologie grecque, le viol est généralement dissimulé sous le couvert d'un enlèvement et il est d'usage que les dieux aient recours à ce "rite" pour posséder une femme ou nymphe. Cette banalisation (voir érotisation) laisse entendre que la violence conjugale est indispensable pour une union heureuse... Oui bah non, je m'en passerai sur mes planches !
Là, sur les croquis, je me figure que le rite n'a jamais eu lieu, Hadès n'est pas un agresseur et Perséphone est une femme libre de ses choix : un mariage prospère ne se construit pas sur un terrain de violence et de domination. (Nan, sans dec'...)
Perséphone et les pépins de grenade - (graphite, encre de Chine et aquarelle extra-fine) © Paontaure
Et ils auront 3 enfants : Zagreus (dont la vrai parenté/identité reste assez nébuleuse), Makaria la mort heureuse, et Mélinoë, déesse des fantômes et des cauchemars. Cette dernière n'est pas la véritable fille d'Hadès.
En effet, Zeus aurait pris l'apparence de son frère afin de posséder Perséphone à son insue (gross...) N'oublions pas que Zeus est un mégalomaniaque doublé d'un serial violeur impuni, usant de son statut de Dieu des dieux pour justifier ses frasques. La liste de femmes et nymphes qu'il a violées est péniblement longue...
L'enfant naîtra avec un corps double : un côté noir, un côté blanc. J'ignore si Hadès ou même Perséphone ont su pour la supercherie. En tous les cas, Mélinoë est considérée sans équivoque comme la fille légitime d'Hadès.
"Les enfants des ténèbres" (graphite, encre de Chine et aquarelle extra-fine) © Paontaure
J'ai beaucoup aimé m'attarder sur les amours d'Hadès. J'ai d'ailleurs un très gros faible pour chacune de ces trois femmes... et j'aurai voulu avoir plus de documentations sur les enfants des Enfers.
Il n'y a plus de croquis sous la main. C'est dommage, parce que ma tête est encore débordante d'images à retranscrire, même si c'est très fouilli et beaucoup plus romancé que dans les textes grecs. Il est aussi bon de se détacher de la trame historique et ré-interpréter les mythes à sa manière :
Planche intégrale I - (graphite, encre de Chine et aquarelle extra-fine) © Paontaure
Je repartage quelques liens glissés dans l'article qui vous ont peut-être échappés et qui sont très intéressants :
- La catabase : ces héros descendus en Enfer, sur Compediart ;
- Ravir la fille : l'enlèvement, la métaphore du viol, sur Cairn Info ;
- Mythologie grecque et problématique actuelle : si éloignées que ça ? , sur Beyounetwork ;
- Histoire de Menthé, via Le Royaume Bleu ;
Je reviendrai peut-être un jour sur le mythe de Hela, déesse nordique de la mort. Pour elle aussi, il y a tant à raconter !
Merci de m'avoir lue/vue. On se retrouve très très vite pour un fouillis saisonnier avec quelques news.
Amitiés,
Paontaure